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Critiques et prix : le nez de Parker n’est plus aussi influent que par le passé

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Robert M. Parker Jr, l’influent critique de vin américain, a été qualifié de gourou, d’empereur, de pape et de bien d’autres sobriquets, pas tous aussi flatteurs.

RParkerDepuis la fin des années 1970, période à laquelle il a publié ses premières notes et créé son échelle d’évaluation sur 100 points, il a redéfini le rôle de critique de vin.

Grâce à sa lettre d’information The Wine Advocate, Parker a non seulement eu un impact sur les goûts de ses lecteurs mais également sur de nombreux aspects de l’industrie du vin, des techniques de vinification aux styles de vin en passant par leurs prix.

On a fait de son nom un verbe (« parkeriser ») pour désigner la création d’un style de vin à son goût. Prononcez-le et vous risquez de transformer une joyeuse assemblée d’amateurs de vin en un champ de bataille verbal.

Mais Robert Parker a maintenant 64 ans et le monde du vin est devenu trop important pour qu’il puisse couvrir ne serait-ce que les meilleurs domaines par lui-même.

Ces dernières années, il a élargi son équipe et confié des régions à de nouveaux critiques. Il a également été touché par des affaires d’irrégularités mêlant des associés de confiance.

Les pratiques de communication et le façonnage des goûts ont changé, ce qui alimente le sempiternel débat, au sein des partisans de Parker, qui vise à déterminer s’il influence toujours les palais et les prix.

Selon Jaime Araujo, fondateur de Terravina (un cabinet-conseil en marketing du vin) : « Il n’a plus le même écho auprès de la jeune génération d’acheteurs de vins haut de gamme. Ceux-ci ne collectionnent pas de façon traditionnelle, c’est-à-dire en choisissant quelques valeurs sûres pour lesquelles ils se portent acquéreurs et répètent la même opération chaque année. »

« C’est une tendance générale du secteur du luxe, que cela soit pour les jeunes Chinois, Américains ou Français. Ils veulent tous les meilleures marques, mais on ne trouve presque plus d’acheteur qui déclare ‘C’est Chanel ou rien’. Ils veulent du Chanel, du Dior, et des articles plus anciens que personne d’autre n’aura. »

Pour un certain type d’acheteur de vin, les débutants et ceux qui préfèrent se fier aux chiffres plutôt qu’expérimenter, les notes de Parker font toujours figure de baromètre du goût et de la traçabilité d’un vin, surtout dans des régions comme le Bordelais (toujours couvert par Parker) et la Californie (qu’il a confiée à d’autres critiques).

« Il fait toujours la pluie et le beau temps dans le Bordelais », explique Chris Adams, directeur général de Sherry-Lehmann, négociant en vin à New York.

« Des commentaires positifs sur un vin qui vient de sortir vont faire augmenter les prix et des commentaires négatifs vont les faire stagner. »

The Wine Advocate reste également la référence pour les vins californiens.

« Si The Wine Spectator donne une très bonne note, nous recevons quelques appels, alors que Parker aiguille réellement les ventes », déclare James Hocking, le directeur de The Vineyard Cellars, un importateur, distributeur et détaillant de vins californiens basé à Newbury au Royaume-Uni.

« Vraiment, personne n’a une influence comparable. Si Parker donne 95 point ou plus, les téléphones n’arrêtent pas de sonner », explique M. Hocking. Beaucoup de ses clients suivent Parker « aveuglément » et retardent leurs achats jusqu’à ce qu’il se prononce. Selon James Hocking, « Quand un nouveau container arrive, [il] appelle [ses] clients privés et [sait] que la conversation va commencer par ‘quelles sont les notes ?’ ».

L’évaluation de l’impact des notes de Parker sur les vins en fût et en bouteille est devenue un jeu rendu plus intéressant par des facteurs comme le millésime, le climat économique et surtout par les réévaluations de Parker.

« Il n’est pas vraiment possible de quantifier la corrélation en dollars mais c’est faisable en points de pourcentage », explique M. Adams qui fait référence à la réévaluation à 100 points de nombreux bordeaux 2009 (plus qu’aucun autre millésime).

Le Premier Grand Cru Château Latour, par exemple, est sorti au prix d’environ 540 € et le Château Smith Haut Lafitte, un vin de Graves classé mais nettement moins connu, est sorti au prix de 62 €.

« Après avoir reçu chacun la note de 100 points, leur prix a augmenté d’environ 100 € mais, évidemment, le pourcentage d’augmentation a été phénoménal pour le Château Smith Haut Lafitte », explique M. Adams.

Mais pour Henning Thoresen, directeur général du Bordeaux Winebank Group qui vend des vins en fût et gère des fonds d’investissement, c’est justement la possibilité que Parker puisse changer d’avis qui réduit sa fiabilité pour des investissements à long terme, contrairement à la spéculation. « Je pense que son influence est en déclin », affirme-t-il.

« Le millésime 2005 en est une des raisons principales. Il a créé beaucoup d’attentes, mais aucun des vins n’était à la hauteur. »

« Quand il a rendu publiques ses notes définitives après les avoir goûtés à nouveau en 2008, tous les vins à 100 points ont été dévalués, ça en a abasourdi plus d’un. »

M. Thoresen ajoute également que cette année, de nombreux domaines ont sorti leurs prix avant les critiques de Parker, ce qui témoigne de sa baisse d’influence. Certains observateurs parlent d’un désir des producteurs de contrôler les prix d’un millésime moins intéressant.

Il est plus compliqué d’évaluer l’impact des notes de Parker sur les prix aux enchères à cause de questions de provenance et d’état de conservation.

« Je suis certain qu’il n’y a pas de lien », déclare Charles Curtis, directeur des ventes de Christie’s pour l’Asie. « Mon impression ne se base sur rien de tangible mais j’ai tendance à penser que les écarts de prix pour un même vin entre une vente et une autre sont importants, peu importe les notes. »

Sceptique quant à la notation sur 100 points, M. Curtis affirme que les résultats d’un même vin lors de deux ventes différentes peuvent révéler une tendance, mais pas une dynamique de fond. « Dire que ‘Parker lui a donné un point de plus donc les enchères ont augmenté elles aussi’, c’est faire un raccourci abusif. »

« Tout comme je ne pense pas qu’il soit possible de quantifier la beauté d’un vin sur une échelle de 1 à 100, je ne pense pas qu’il soit possible d’assurer le suivi de son prix. »

« De nombreux facteurs déterminent le prix lors d’une vente aux enchères, il est difficile de les isoler. »

Source: Maggie Rosen
Financial Times
19 juin 2012 

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