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Les architectes célèbres, nouvelle arme des châteaux bordelais

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À l’instar de Philippe Starck, qui va concevoir le nouveau chai du château Les Carmes Haut-Brion, de plus en plus d’architectes célèbres sont sollicités par les châteaux bordelais, qui se livrent à travers eux une guerre d’images féroce.

Chateau Cheval BlancNorman Foster, Jean Nouvel, Philippe Starck ou Alberto Pinto: les plus grandes signatures de l’architecture répondent à l’appel des prestigieuses propriétés viticoles bordelaises (vins de Bordeaux) désireuses de rénover leurs chais pour s’adapter aux récentes découvertes en matière de vinification.

Adaptation technologique, souhait d’investir pour augmenter la valeur du domaine et sa notoriété, la construction de nouveaux chais concerne donc de nombreux crus prestigieux tels Yquem (Sauternes), Latour (Pauillac), Petrus (Pomerol), Angélus (Saint-Emilion) ou Mouton Rothschild (Médoc).

Certains font appel à des architectes ou designers de renom tels Mario Botta à Faugères (Saint-Emilion), Jean Nouvel à La Dominique (Saint-Emilion), Alberto Pinto à Pavie (Saint-Emilion) ou Norman Foster à Margaux (Médoc). Ces investissements pour l’avenir sont permis grâce aux revenus exceptionnels tirés des très bonnes exportations vers l’Asie des vins classés français depuis deux ans.

« Il y avait de nombreux projets qui ont été reportés en raison de la crise de 2008. Mais les deux belles campagnes sur les millésimes exceptionnels 2009 et 2010 ont permis aux propriétés de réinvestir et d’évoluer techniquement », indique le président du Syndicat régional des courtiers en vins, Xavier Coumau.

« La demande (de nouveaux chais) explose aujourd’hui », confirme l’architecte Bernard Mazières, qui a réalisé de nombreux bâtiments viticoles notamment pour Yquem, Petrus, Latour ou Mouton Rothschild. « Les propriétaires ont besoin de plus d’espace pour travailler, notamment pour s’adapter aux nouvelles connaissances sur les vendanges qui les amènent à se doter de cuves de vinification plus petites », explique-t-il.

En effet, ils pratiquent désormais la « vinification parcellaire », utilisant des cuves de différentes tailles pour chaque parcelle de vigne. Une analyse fine des sous-sols géo-référencés par satellite offre désormais la possibilité de découper la vigne en parcelles aux caractéristiques identiques selon le type de sol ou l’âge des vignes. Cette nouvelle approche « permet de gérer de façon beaucoup plus précise les dates de vendanges, la fenêtre de juste maturité pour le Merlot étant de quatre jours », explique Jean-Michel Laporte, directeur du château La Conseillante, en Pomerol, où les 18 cuves du nouveau chais inauguré en 2012 ont désormais « leur alter ego dans les vignes et leur propre vinification ».

Au château les Carmes Haut-Brion, dans les Graves, un nouveau chai signé par le designer touche-à-tout Philippe Starck, qui sera sa première réalisation viticole, est aussi annoncé pour la récolte 2015. « La notoriété de Starck n’était pas l’idée première, il fallait un nouveau cuvier » (chais à vinification), assure Guillaume Pouthier, directeur du château.

En 2011, Cheval Blanc, premier grand cru classé A, avait marqué le monde du vin en osant au milieu des vignes de Saint-Emilion une construction moderne et de prestige signée Christian de Portzamparc. À quelques mètres seulement de ce bâtiment blanc immaculé aux formes arrondies, va se dresser pour les vendanges 2013 un pavillon rectangulaire recouvert de lames en inox « rouge Bordeaux », signé Jean Nouvel.

Le grand cru classé château La Dominique entend par cet édifice moderne, « inspiré des oeuvres d’art métalliques d’Anish Kapoor aux effets de miroir inversé », réparer « un déficit de notoriété qui pour la promotion des vignobles est d’une grande nécessité », indique son directeur Yannick Evenou.

Le désir de se distinguer et d’accroître sa notoriété est au coeur de cette compétition dans le Bordelais. « La Dominique est cernée par les propriétés mondialement connues de St Emilion et de Pomerol » et « comme notre illustre voisin Cheval Blanc avait fait appel à un grand architecte, l’idée était de prendre une grande signature avec Jean Nouvel », ajoute M. Evenou. Le concepteur de l’Institut du Monde arabe et du Musée du Quai Branly a voulu « faire une oeuvre d’art dans les vignes », explique-t-il.

Non loin de là, le mythique Petrus a eu lui aussi besoin de se doter d’un cuvier parcellaire. Mais ici, pour le plus connu des grands crus français, on ne cherche point à attirer l’attention. « L’objectif esthétique a été l’intégration dans le paysage et la discrétion », indique l’architecte Bernard Mazières.

« On est dans le cuvier comme dans un bateau, tout est fonctionnel », dit Jean-Pierre Erath, consultant architectural, « il n’y a pas d’artifice décoratif dans les chais, c’est un outil de travail rendu beau ». « Les caractéristiques architecturales sont à l’image du vin », souligne encore ce consultant. « À Petrus, c’est une modernité de continuité patrimoniale. Avec les bâtiments de Jean Nouvel ou de Philippe Starck c’est une modernité de rupture qui se met en oeuvre. Rupture sociale et rupture d’échelle ».

La bataille d’égo entre grands propriétaires du Bordelais, qui transparaît chaque année lors de la fixation du prix des bouteilles, chacun, pour des questions de prestige, voulant être plus cher que le voisin, prend désormais une nouvelle tournure.
Avec le concours des architectes stars de la planète, désireux eux aussi d’entrer en concurrence au milieu des vignes à l’image de Jean Nouvel voulant se mesurer à Christian de Portzamparc, la folie des grandeurs des richissimes propriétaires bordelais se mesure aussi à l’aune de l’architecture de leurs chais.

Source: La Revue du vin de France
4 Mars 2013

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