Les dégustations en barrique de bordeaux 2014
James Molesworth goûte des échantillons tirés des barriques bordelaises afin de se faire une première idée du millésime 2014, qui pourrait être le meilleur que la région ait connu depuis 2010. Ne manquez pas ses notes de dégustation et ses articles de blog quotidiens.
Le mois de mars est très important dans le Bordelais. Il s’agit de la période où la plus grande région vinicole de France, et sûrement la plus connue, dévoile ses nouveaux vins à l’occasion de ce qu’on appelle « les primeurs ». C’est le premier contact officiel entre le millésime le plus récent (2014, dans ce cas) et le public. Négociants, journalistes, distributeurs, acheteurs pour la restauration, consommateurs et autres : tous se retrouvent dans la région pour goûter ces vins. Et les Bordelais sont optimistes pour le millésime 2014 : les rendements restent faibles, mais il pourrait bien s’agir du meilleur millésime depuis le très acclamé millésime 2010. Le cabernet sauvignon de la rive gauche serait particulièrement prometteur.
Mais les vins ne sont pas encore prêts et doivent encore passer du temps en barriques. Les échantillons proposés à la dégustation correspondent en général à la composition finale du vin, même si quelques ajustements peuvent encore avoir lieu. Il faudra encore patienter au moins six mois avant la mise en bouteille. Certains affirment que ces dégustations prématurées n’apportent pas grand chose. Alors pourquoi les châteaux dévoilent-ils leurs vins en mars ? Et pourquoi des journalistes comme moi font-ils le déplacement pour goûter des produits non finis ?
Parce que ces vins sont sur le point d’être mis en vente, d’abord pour les professionnels, et ensuite pour vous, les consommateurs, qui pourrez vous les faire livrer dès qu’ils auront été mis en bouteille. Ainsi, si la région veut dévoiler et vendre ses vins, il est de mon devoir de vous informer de ce à quoi vous pouvez vous attendre. En dix-huit ans de carrière à 葡萄酒观察家, j’ai goûté des vins d’origines diverses et variées, déjà mis en bouteille ou encore en barriques. C’est une tâche qui demande de l’expérience, et un peu d’humilité : il est important de garder à l’esprit le fait que ces dégustations ont lieu à un stade de production prématuré.
« La montagne qui accouche d’une souris » est l’image qui vient à l’esprit quand on pense aux derniers primeurs. Le démarrage de la campagne est une période d’effervescence intense : la presse spécialisée internationale arrive sur place et les châteaux vantent les qualités de leurs vins. Mais comme les millésimes 2011, 2012 et 2013 n’ont pas brillé par leur qualité, la campagne des primeurs a ensuite fait l’effet d’un pétard mouillé et a souvent traîné jusqu’au début de l’été du fait de la faible demande des marchands et des consommateurs. Mais même les grands millésimes 2009 et 2010 n’ont pas encore pris de la valeur.
Pourquoi donc acheter si tôt ? Parce qu’en tant que consommateur, le prix alors pratiqué par le château (étant donné les augmentations ultérieures du négociant et éventuellement du distributeur) sera probablement le meilleur prix d’achat de ce qui pourrait s’avérer un grand millésime. Les mises en vente ultérieures, appelées « tranches », se font souvent à des prix plus élevés. Le temps que les vins en bouteille atteignent le bout de la chaîne de distribution, leur prix risque d’avoir subi une augmentation significative et les meilleurs vins peuvent commencer à se faire rares. Si le millésime s’avère exceptionnel, les investisseurs qui achètent ce vin le plus tôt, quand son prix est encore au plus bas, sont gagnants à long terme.
Par contre, si le millésime s’avère moins enthousiasmant, les prix ne vont pas forcément augmenter et il n’est probablement pas nécessaire de se précipiter.
Vous achetez peut-être les vins de votre producteur préféré année après année, ou vous voulez mettre le grappin sur un outsider qui créera la surprise. Peu importe votre tactique, il est important de faire preuve de prudence quand vous achetez des futurs vins bordelais.
2014 constitue un point d’inflexion pour les vins de bordeaux. Les sources s’accordent sur sa solidité et sa qualité, qui devrait être meilleure comparée aux trois derniers millésimes. Elle ne devrait toutefois pas égaler celle des millésimes 2009 et 2010. Les rendements sont en légère baisse, tout comme ils l’ont été de 2011 à 2013. Cette configuration en termes d’offre et de demande est-elle propice à des primeurs dynamiques ? Ou les châteaux vont-ils en faire trop et gâcher leur campagne à cause de prix trop élevés ?
Je m’attends à un mélange des deux. L’économie américaine connaît une poussée et le dollar est maintenant presque équivalent à l’euro. De plus, le rejet du bordeaux sur le marché américain suite aux prix exorbitants des millésimes 2009 et 2010 s’est atténué et le bordeaux redevient à la mode. Les marchés asiatiques s’affaissent et les vins de Bordeaux se tournent à nouveau vers les États-Unis.
Mais cherchent-ils ainsi à se faire pardonner pour avoir délaissé leur meilleur marché en période prospère ? Vont-ils pratiquer des prix corrects pour écouler leurs stocks rapidement ? Sont-ils conscients de l’impulsion qu’ils pourraient donner si la solidité du millésime 2014 est confirmée et s’ils fixent leurs prix intelligemment ? Ont-ils pour ambition que leurs vins fassent leur retour sur les cartes des restaurants et se fassent une place auprès des trentenaires ? L’amour propre peut rendre aveugle dans le Bordelais et influencer les prix aux dépens d’une vision à long terme.
Il faut garder à l’esprit que mes dégustations de primeurs sont un premier contact avec ce millésime. Je me suis particulièrement penché sur des vins populaires et faciles à trouver aux États-Unis, tout en identifiant les outsiders et les valeurs sûres, mais ce compte-rendu ne consiste pas en un aperçu exhaustif du millésime.
18 mars 2015
James Molesworth